Le cabinet Jeantet organisait une conférence sur les leçons à tirer de l’arrêt du 1er juin 2016 qui a opéré un revirement de jurisprudence en matière de harcèlement moral. Désormais, les juges acceptent de tenir compte des mesures de prévention mises en oeuvre par l’entreprise. Ces dernières doivent d’autant plus être vigilantes sur ce travail de prévention.

Jusque récemment, la Cour de cassation jugeait l’employeur responsable dès lors que des faits de harcèlement moral apparaissaient dans son entreprise. Depuis le 1er juin dernier, elle accepte de prendre en compte le travail de prévention de l’entreprise. Mais encore faut-il que celui-ci soit tangible et non simplement superficiel. C’est ce qu’ont souligné les avocats du cabinet Jeantet à l’occasion d’une conférence organisée hier matin à Paris.

Les mesures de prévention enfin prises en compte

« Avant le 1er juin 2016, les salariés qui attaquaient aux prud’hommes ajoutaient souvent un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat. Le seul fait que des agissements de harcèlement moral étaient caractérisés suffisaient  à mettre en cause la responsabilité de l’employeur, rappelle Patrick Thiebart, avocat associé au sein du cabinet Jeantet. La seule possibilité de se défendre était la force majeure mais elle restait très théorique.

L’obligation de sécurité s’est ainsi transformée en cash machine, dans une logique purement indemnitaire. Quel intérêt les entreprises avaient-elles à faire de la prévention si elles étaient systématiquement condamnées ? », s’interroge-t-il.

Mais la donne a changé. La Cour de cassation accepte désormais de tenir compte des efforts de prévention de l’entreprise, l’occasion pour celles-ci de redoubler de vigilance.

Anticiper les faits de harcèlement moral

La première étape est l’anticipation.

« Il faut mettre en place des actions de sensibilisation et de formation obligatoire, mais cela ne suffira pas, insiste Patrick Thiébart. La loi Rebsamen prévoit l’obligation de discuter de la qualité de vie au travail avec les représentants du personnel ».

L’employeur doit aussi faire un travail d’identification des risques psychosociaux ; pour cela il dispose d’un certain nombre d’éléments que Patrick Thiebart énumère : bilan social, procès-verbaux du CE et du CHSCT, rapport annuel d’activité du CHSCT, audits de productivité,… ». « L’INRS liste également les indicateurs pertinents », complète Agnès Aknin Erovic, avocate au sein du cabinet Jeantet : temps de travail, absentéisme, rémunérations… ». « Les indicateurs liés à l’entreprise, comme une baisse de résultat, ne sont pas toujours liés à un marché plus concurrentiel, mais peut également témoigner d’un problème de motivation des salariés », poursuit Patrick Thiébart.

Il est aussi nécessaire de se pencher sur l’organisation du travail. « Travailler en flux tendu avec zéro stock fait peser plus de contraintes sur les salariés. Les prise des pauses et la façon dont l’entreprise contrôle le travail sont également des éléments à prendre en compte ».

Réagir rapidement

Seconde étape : réagir, et réagir vite !

« La remontée de l’information peut venir du salarié qui se dit victime de harcèlement ou d’un témoin. Mais attention, prévient Patrick Thiebart, « n’acceptez pas de remontées purement verbales. Demander un écrit permet de responsabiliser le salarié et au service RH d’analyser et de traiter l’information. Enfin, il faut toujours répondre à toute lettre visant une dénonciation même si elle apparaît farfelue. Une sanction pourra toujours être prise en cas de dénonciation abusive ».

Lorsque la dénonciation présente des signes plus tangibles, l’entreprise doit enclencher une procédure qu’elle aura pris soin de définir auparavant dans la mesure du possible. Patrick Thiebart recommande ainsi de prévoir dans une charte sociale ou un accord d’entreprise le process à suivre. « Il faut savoir anticiper ces problématiques : prévoir les délais d’instruction, la composition de la commission paritaire, le nombre de témoins auditionnés, le planning des auditions, les questions à poser,… ». Enfin, il ne faut pas oublier de faire signer les procès-verbaux d’auditions. « Avec les PV d’auditions et les comptes rendus d’enquête, le CHSCT pourra se prononcer en toute connaissance de cause », note Patrick Thiebart.

Même pour les PME moins armées parfois pour mettre en place de lourdes et complexes procédures, il est recommandé d’annexer une telle charte au règlement intérieur. « Il existe aussi des processus de médiation pour les petites structures, souligne Agnès Aknin Erovic. Il est aussi possible de faire appel au médecin du travail qui peut proposer un plan d’action pour mettre fin au harcèlement ».

Car dans tous les cas, grandes entreprises ou PME, les juges demandent à l’employeur de régler le problème immédiatement et cela peut s’avérer compliqué si l’entreprise n’a pas anticipé ce risque.

 

ActuelRh - Florence Mehrez
publié le 13/07/2016